Pour
la plupart des économistes, il va de soi qu'une banque centrale
s'implique lorsqu'une crise monétaire se profile à l'horizon. Mais dans l'histoire de Wall Street, il fut un temps où de riches financiers ont mis l'épaule à la roue...
Au cours
des deux
derniers siècles, les gouvernements ont justement créé ces banques
centrales pour gérer leur monnaie par le biais de ces monopoles d'État. Ces banques centrales
ont le mandat d'imprimer et de gérer l'offre de monnaie dans une
économie.
Or,
il fut un temps où il n'y avait pas de banques centrales. À une
certaine époque, les crises bancaires n'étaient pas rares, mais elles ne
laissaient
pas autant de sang sur le plancher. Pis encore, en 1907 ce sont de
riches financiers de Wall Street - avec un peu d'aide du gouvernement -
qui ont allongé les milliards pour sauver leur industrie financière.
Ce
qu'on en apprend des choses lorsqu'on lit de bons papiers écrits par de
brillants jeunes étudiants. Nicholas Corriveau, finissant du programme
Droit et société du collège Dawson, m'a appris un fait historique qui
ne doit pas passer inaperçu en ces temps de lancinante relance
économique.
Source: US Library of Congress Datastream |
C'est
John Pierpont Morgan lui-même qui a allongé 3,5 millions d'onces d'or
au Trésor américain - en échange d'obligations, bien sûr - pour éponger
une contraction de la quantité de monnaie dans le marché new yorkais de
1907. C'est l'équivalent de 5 milliards de dollars d'aujourd'hui.
JP
Morgan n'a pas agi seul. Ses collègues James Stillman (National City
Bank), et George Baker (First National Bank),
ont déposé 25 millions (dollars d'époque) dans les marchés pour assurer
une stabilité et rassurer le public.
Péril
en la demeure il y avait. N'étant pas expert en la matière, je me fie à
l'une des sources de Corriveau : Jon Moen, de l'université du
Mississippi,
tiré d'un site bien étoffé sur l'histoire économique des États-Unis,
riche de détails.
Collusion
sur les marchés de New York. Un investisseur aux combines redoutées, F.
Augustus Heinze, a échoué à réaliser un « corner » sur une entreprise
de taille moyenne de l'époque, la United Copper Company. Heinze tentait
d'acheter toutes les parts disponibles de l'entreprise, et même plus
(les positions shorts), pour forcer les autres investisseurs à payer un
gros prix sur les actions qu'il voulait revendre.
COMBINES, TOUJOURS DES COMBINES
Ces combines sont interdites aujourd'hui, mais à l'époque, c'était
permis semble-t-il. Pour réussir une telle combine, il faut soit
beaucoup, beaucoup, d'argent, soit un réseau de prêteurs, de cambistes
et d'investisseurs prêts à « fourrer » le système. Bref,
en échouant cette combine, Monsieur-et-Madame-Tout-le-Monde ont perdu
confiance dans la bourse de New York et ses banques. La Knickerbocker
Trust est l'objet d'une ruée, comme plusieurs autres institutions
financières de Wall Street.
Moen
explique que les trusts étaient de nouvelles institutions financières,
moins réglementées que les banques « nationales », ou « d'état ». Les
trusts avaient le goût du risque. Il
serait surprenant qu'un homme d'affaires aux instincts de « requin » se
sente d'un coup épris d'une générosité telle qu'il accepte d'allonger
ses millions pour éponger les dettes de concurrents qui ont joué à une
sorte de roulette russe. Eh bien, c'est vrai. Selon Moen, JP Morgan n'a
pas montré d'intérêt, au début du scénario, pour sauver le monde. Sauf
que...
CONTRACTION MONÉTAIRE
L'époque
avait ses particularités. L'automne à New York rimait avec taux
d'intérêts élevés à cause du cycle saisonnier des moissons qui y
prenaient
les quais pour l'Europe. En attendant la somme due pour le blé et
autres denrées des terres du Midwest, l'argent se fait rare sur Wall
Street, comme à l'habitude. Mais 1907 était pire que par le passé parce
que l'Europe semble être fauchée. Les barres d'or
qui devaient arriver à Wall Street en automne, attirées par des taux
d'intérêt plus élevés, ne sont pas au rendez-vous. Résultat, une
contraction monétaire va exacerber la crise bancaire. Un comité se
forme, Morgan à sa tête. On gère la crise au quotidien
avec l'argent de plusieurs, le gouvernement participe... on évite le
pire.
Au
final, il semble que Morgan, bien qu'il ait été très bien rémunéré
pour ces « placements » en ce temps de crise, n'ait pas apprécié ce rôle de
prêteur
de dernier recours. Wall Street pressa donc Washington de faire ce que
toutes les autres nations développées ont fait à cette époque: se doter d'une banque
centrale. Il ne fallut que quelques années pour que les États-Unis crée
sa Federal Reserve Bank, en 1914, à l'instar
des autres puissances d'Europe.